Punker - Episode 5

Publié le par Rohic

J’ai reçu cet étrange coup de fil à peine une minute après leur départ. Hugo devait encore être dans l’escalier, à peloter sa croupière. Ça a fait un truc du genre : “Salut p’tit gars. C’est ton ami Rachid. Je dois te voir, là. On a un truc à régler tous les deux”. Un truc à régler ? Mon sang n’a fait qu’un tour. Il aurait encore bien pu en faire deux ou trois… Le type a enchaîné à toute berzingue à l’autre bout du fil. “Ma bagnole doit être au bas de chez toi. Tu descends, tu y montes. A tout d’suite…” Je me suis laissé tomber comme une merde dans le sofa non moins merdeux de mon pote. Je reconnaissais à peine mon mobile que je fixais pourtant éperduement. Qu’est-ce qu’il venait de me dire, ce con ? Un truc à régler ?! Qu’est-ce que j’avais encore bien pu aller faire pour me mettre dans un pétrin pareil ?
Je me suis précipité à la fenêtre. En bas, un colosse à casquette assis sur le capot d’une superbe Mercedes noire, devant laquelle mon pote était en train de passer en chahutant sa petite nana. Le mec de la bagnole les a matés sans sourciller. Même vu du troisième, il était volumineux, impressionnant. Quant à moi, j’étais vert. Ce n’était tout de même pas mon chauffeur d’hier ? J’en avais le souffle coupé. Ça galopait à toute vitesse dans ce qu’il me restait de conscience valide. Je me sentais rudement coupable mais je ne savais absolument pas de quoi. Bordel, qu’est-ce que ça peut-être ce truc à régler ? Je me suis rassis dans le canapé. J’y vais, j’y vais pas ? J’ai repensé à ma petite croupière. A sa main serrée sur mon bras. J’étais en nage. Je flippais terriblement. Il fallait pourtant que je m’en avise. Que pouvait-il bien me vouloir ? Je n’allais quand même laisser monter le colosse en casquette…

Evidemment, comme d’habitude je dirais, j’ai fait n’importe quoi. En trois minutes, j’avais remis les billets dans leur étui. Je m’en suis collé quelques uns dans les poches, ceux qui débordaient en fait. J’ai pensé à la coke aussi, que je n’avais plus. Ça m’a fait encore plus flipper. Je suis descendu comme un zombie. Le gars ne m’a abolument pas regardé. Il a fait le tour de la bagnole d’afin d’attrapper la portière arrière droite, l’a ouverte et s’est planté comme ça derrière ses lunettes de soleil et sa casquette. J’ai pas bien vu s’il souriait ou non. A dire vrai, j’ai fait comme lui, j’ai pas regardé. Je me suis engouffré par cette putain de portière qui s’est refermée avec fracas sur mes fesses. J’étais pas affolé, j’étais littéralement pétrifié.
Pour preuve, je n’ai pas bougé le moindre poil de fesse de tout le voyage. Ma petite malette vissée à mon petit cœur, je nous ai vu quitter Paris, c’est tout… Je pensais à ces films où on bande les yeux des passagers pour pas qu’ils sachent où on les emmène. J’ai bientôt été incapable de me souvenir de quoi que ce soit du paysage que nous traversions, et encore moins du temps qu’on y avait mis. J’aurais pas fait un bon flic c’est sûr, mais j’ai quand même reconnu le château au premier coup d’œil. Il paraissait plus grand, plus élancé en plein après-midi. Le parc déjà, avec sa grille monumentale et son allée à n’en plus finir, bordée de conifères gigantesques. La bagnole y glissait d’une manière très spécifique, très solennelle, qui m’a enfoncé encore davantage le cul dans ma banquette.

Il y avait moins de voitures que la nuit dernière mais j’ai dû en compter une petite dizaine, par simple manie. Lorsque j’ai voulu sortir, je me suis aperçu que la portière était bloquée de l’intérieur. J’étais totalement paniqué quand le chauffeur m’a ouvert et j’ai bien failli me vautrer en m’extirpant comme un ouf de la limousine. Des rires ont explosé du haut du grand escalier de pierre. J’avais grand honte, pour ma part. Il y avait là deux superbes filles en mini-jupes et en bonnets, assises en tailleur sur le bord du perron, qui semblaient fumer un joint et me toisaient avec arrogance. Je les avais même pas vues, ces deux-là. Je suis passé devant elles la queue entre les jambes, ma mallette collée à la poitrine. Elles ont fait des remarques ironiques sur mon cul et ricané de plus belle, mais je n’ai pas relevé. Je ne me suis même pas retourné. J’avais d’autres soucis en tête et, dans la mire, comme une apparition, mon Rachid, mobile skotché à l’oreille, qui arrivait à grand pas à ma rencontre. “Qu’est-ce que tu fous avec ça petit ?” Il semblait désigner ma malette en braillant à travers le grand hall Renaissance. Mais c’est mon épaule qu’il saisit d’une poigne de fer, en agitant son téléphone comme un furieux de son autre main. La scène dut bien durer comme ça une petite minute.
Son bras me pesait. J’avais l’impression de m’enfoncer dans le sol. Il était sacrément costaud le bougre, et je crois que ça l’amusait de se la jouer de cette façon. Un moment, il a vomi un truc en arabe à son appareil et l’a jeté dans la poche de son costume. Enfin, il m’a regardé avec un méchant sourire…  “On m’a dit d’acheter une oreillette mais je m’en bats les couilles de leurs tumeurs à la con. Dis-donc toi, tu as bien dormi ? Tu te sens bien aujourd’hui ? T’as pas trop rêvé de poker, j’espère ?” C’est tout juste s’il ne m’a pas tiré l’oreille. J’avais l’impression de mesurer un mètre vingt à tout casser. Il m’a pris spartiatement par le bras et m’a tiré jusqu’à un superbe bureau à décorations du XVIIe ou XVIIIe. Pour ainsi dire, je me serais cru dans le XVIe. Ou au musée. Rachid a pris ma malette et l’a enfournée dans un coffre à la vitesse de la lumière. Je me suis senti tout dépouillé d’un coup, tout nu. Mon mètre vingt était déjà bien loin. Il s’est assis à son bureau, a griffonné un truc sur un post-it et me l’a tendu. “Approche-toi petit, n’aies pas peur. Assieds-toi et prends ça. C’est la combinaison du coffre. Tu vois, je te fais confiance !”

Je me suis exécuté studieusement. Il se grattait le menton en me dévisageant. Je crois bien que j’avais de vrais moustaches de sueur. J’ai senti de petits éclairs interrogatifs dans son vilain sourire. Peut-être se demandait-il ce que je faisais là, lui aussi ? Peut-être doutait-il du choix qu’il avait à faire ? Il n’a pas dû se poser la question bien longtemps car il a directement embrayé :  “Veux-tu un cigare ? Une clope ? Une Vodka ?… Tu vas pas me dire qu’il te reste plus d’coke quand même ?” Il a fait mine de chercher mon regard qui galopait entre les lambris dorés, sans toutefois me laisser le temps de répondre.
“Bon, j’ai un service à te demander. Tu sais ce que c’est que le heads-up ?” J’ai fait oui de la tête, sans trop savoir à quelle question je répondais. Je commençais néanmoins à me faire ma petite idée sur le pourquoi du comment, par devers moi, à l’insue de mon plein gré comme dirait l’autre.

“– Vous voulez que je joue encore aux cartes ?

– Bah ouais, qu’est-ce que tu foutrais là sinon ?

– Mais c’est que j’ai pas envie moi. J’ai… J’avais pas prévu ça du tout !

– Bah ouais, mais c’est comme ça. J’te rappelle tout de même que tu t’es fait un demi-million sur notre dos hier soir. Tu me l’dois, ce service. C’est pas autrement.”


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C
Dans quelle galère il s'est fourré !Il ne lui reste plus qu'à s'exécuter .
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R
Un suicide, non merci !
B
Mmmmm ! le rythme de parution accélère, et l'intrigue s'épaissit. Quel plaisir !
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R
Quel travail !