Punker - Episode 4

Publié le par Rohic

Je me suis réveillé mort de soif, tout bouzillé dans le sofa pointu de mon pote, quelque part à Charenton. Il devait être 13 heures ou pas loin. Je me sentais mal. J’avais la nausée. Comme si je n’avais pas dormi de la nuit, ce qui était pratiquement le cas au demeurant. Surtout, j’avais l’impression de nager dans une mer de coton. J’étais complètement paumé. Et j’ai dû faire appel à toute ma concentration pour parvenir à redessiner doucement les contours de mon existence. La coke sans doute ? Quoi, la coke ? Ah ouais, la cooooke… Les souvenirs ont paru à peine moins confus. J’ai ramassé ma veste qui traînait parterre. Il y avait bien un gros sachet de produit dans la poche intérieure, quelque chose comme dix ou vingt grammes. J’en croyais pas mes yeux. Pour le coup, tout plein d’images sont revenues en vrac. Ça se précipitait là-dedans, si bien que j’ai bondi comme un fou dans la cuisine. Sur la table : une jolie mallette en acier brossé, entrouverte, vomissant du billet usager. Il y en avait partout ! En tout cas, c’est l’effet que ça m’a fait.

J’ai dû hurler à la mort ou un truc dans le genre en brassant le pactole. Hugo est sorti de sa chambre en caleçon, se grattant la tête d’une main, le cul de l’autre. « T’as vu ça ? », je lui ai dit. « Il y en a pour cinq ou six cents mille. J’ai jamais vu autant de blé de ma vie. » Lui non plus apparemment. Ça l’a scié. Ce qui ne nous a pas empêché d’entamer une de ces danses de sioux dont nous avions le secret, lente d’abord puis tonitruante, courant et sautant de pièce en pièce dans l’appartement, nous embrassant ou nous jetant des objets au visage, le tout assaisonné de grands cris d’animaux sauvages et d’éclats de rires… L’affaire nous a pris pas loin de dix minutes. Nous avions évidemment réveillé la petite croupière, qui avait passé la nuit dans le pieu de mon pote et se demandait ostensiblement où elle venait d’émerger. J’ai eu une pointe de jalousie en la découvrant là, assise à poil dans le lit, se bouchant les oreilles à notre passage. Elle était vraiment mignonne. Hugo m’a posé des tonnes de questions, auxquelles je n’ai pas su répondre. J’essayais de faire du café et j’ai dit à mon pote qu’il trouverait un peu de coke dans ma veste, histoire qu’il me foute la paix. Il est revenu moins deux minutes plus tard, héberlué et totalement hystérique !
La fille nous a rejoint au moment où je servais le café. Elle s’est assise avec nous, m’a regardé un bon moment avant de me demander : « Où as-tu appris à jouer au poker comme ça ? » Hugo s’est esclaffé : « Mais, ma petit fille, c’est moi-même en personne qui ai instruit le jeune scarabée que vous voyez là. » Elle n’a pas vraiment réagi. Lui était plié de rire. Moi, je commençais tout juste à prendre la mesure de ce qu’il venait de m’arriver.

Mais que s’était-il vraiment passé la nuit dernière ? Jamais, c’est vrai, je n’avais joué un tel poker auparavant. Je n’en était tout simplement pas capable. D’ailleurs, je jouais depuis quand exactement, deux ans à tout casser ? J’y avais perdu un bon millier d’euros sur internet et n’avais jamais atteint la moindre table finale d’un tournoi amateur. Comme tout le monde, j’avais tendance à me penser incollable en matière de psychologie. J’avais évidemment potassé quelques articles sur les probas et la stratégie. Pas de quoi fouetter un joueur professionnel, à dire vrai. La fille l’avait compris. Elle se demandait surtout d’où j’avais tiré cette technique singulière et tellement efficace, qui avait bien pu me filer ce genre de martingale. La chance ne lui semblait pas être une explication suffisante. Je n’en voyais pourtant pas d’autres. Je ne pouvais tout de même pas lui parler du clodo dans la rue ?!
« J’en ai dealé des tournois, mais je n’ai jamais vu quelqu’un jouer comme toi», a-t-elle avoué. « On t’a sûrement vendu un truc pour lire tes adversaires. Tu ne connaissais même pas ces gens-là. Le gros plein de soupe n’était pas le premier venu, crois-moi… » Elle souriait en cherchant des réponses dans mes yeux. Hugo était reparti se faire une ligne dans le salon. J’étais sous le charme. Et de la jolie nana et des billets. Jusqu’au moment d’évoquer un nom qui a étrangement fait écho entre nous : Rachid ! Sans s’en rendre compte, elle venait de me prendre l’avant-bras et le serrait très fort, au point que j’ai failli en lâcher ma tasse de café. « Faut faire gaffe à Rachid » avait-t-elle soupiré. « T’as aucune idée du pouvoir de nuisance de ce mec ! »
Elle n’en a pas dit plus. Pas moins non plus… Elle s’est simplement excusée pour mon bras, avec une petite touche de timidité qui m’a fait quelque chose. Puis elle s’est levée et m’a demandé où se trouvait la salle de bain.

Je n’ai pas tardé à rejoindre mon pote au salon, histoire de partager nos impressions. Il était totalement allumé et n’a pas voulu me rendre le sachet de coke. Il m’a demandé de la tune aussi et j’ai dû lui donner les mille euros qui traînaient dans ma soquette, car je n’ai plus remis la main dessus par la suite. Je me suis douché vite fait, après les autres. J’ai changé de fringues, mais je ne me suis pas rasé. Un peu avant 15 heures, Hugo s’est proposé de ramener la fille chez elle. Nous avions prévu une partie entre amis dans la soirée, et il m’a promis de rentrer pour 19 heures en claquant la porte. Je ne l’ai pas revu. D’ailleurs, je ne l’ai pas attendu. Moins d’une demi-heure après son départ, je me retrouvais à nouveau embarqué en merco, pour une destination dont je n’avais pas même soupçonné l’existence…

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C
Il n'y a pas à dire...ça se lit bien .
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R
Même les petites lettres ?
B
En nature, en espèces sonnantes et trébuchantes ou en bons mots ?
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R
En patience ?!
B
Qui est donc ce Rachid ? Mais pourquoi a-t-il un tel pouvoir de nuisance ? Grrr ! Il va falloir patienter pour avoir la suite !
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R
Ou payer !