Punker - Episode 3

Publié le par Rohic

Ce qu’il y a de formidable avec le sort, c’est son côté insaisissable et prégnant à la fois. Quand tu te lâches profondément, ouvert à la fontaine des probables, et que plus rien ne t’étonnes. Quand il n’y a plus rien à perdre, en somme. Quand, justement, tu ne tentes pas de le saisir, ce putain de sort !
Merco avec chauffeur, lignes de coke à la chaîne, coups de fil en série… Notre gars n’avait pas l’air de vouloir se coucher de si bonne heure, en tout cas. « Sûrement pas un vendredi soir. Tu peux m’appeler Rachid, si tu veux, mon petit. On va chez des amis. Tu te sens bien dans ma bagnole ? » On sentait surtout à dix kilomètres qu’il avait la ferme intention de récupérer son blé, le bonhomme, et même un peu plus, si cela se présentait. Je ne me suis pas vu sniffer les trois ou quatre rails qu’il m’a tendus pendant qu’on traversait Panam. J’étais aux anges, à demi conscient, abandonné. Mais que pouvait-il donc bien m’arriver, sinon de perdre ces cinquante mille euros qui n’étaient même pas à moi ? Le cercle m’avait offert la petite sacoche siglée qui va avec, en plus de ça. Pas trop repère, le touriste. Mais prévoyant tout de même : m’en restait mille sous la soquette, largement de quoi prendre un taxi et rentrer à Charenton. En cas de pépin, évidemment.
De toute façon, je n’ai pas eu le temps de m’inquiéter de savoir ce je foutais là. On a pris l’autoroute et roulé une petite demi-heure à tout casser. Rachid ne parlait qu’à son téléphone. La coke m’a fait pas mal bosser du chapeau, mais rien de trop parano au final. Je repensais à ce type dans la rue, à la façon dont on m’avait remis le liquide dans le Cercle, à toutes ces rencontres charmantes que j’avais faites ce soir, et qui m’avaient ramené tant de poignon. Quelque chose s’était donc vraiment passé. Un truc incontournable, irrémédiable, qui n’ennivrait tout autant que le reste…

Rachid est revenu vers moi quand notre voiture s’est engagée dans un vaste parc, au cœur d’une forêt que je ne connaissais pas. « Quel âge as-tu, au fait ? Et comment tu t’appelles ? » Je n’ai pas répondu tout de suite. J’étais halluciné pour ainsi dire, par l’intérieur de cuir beige de la limouzine autant que par le paysage étrange dans lequel nous nous engagions avec nonchalance. Une minute plus tard, la rutilante s’immobilisait devant une demeure ostensiblement magnifique, une oasis de lumière au milieu de nulle part. J’étais toujours dans le coton. Il y avait là une cinquantaine de jolies voitures. « Mon nom c’est Rodman », j’ai murmuré en claquant la portière de la nôtre. « J’ai 30 ans ! » En fait, je n’en avais pas encore 26, mais qu’importe. De toute façon, je m’appelle Bruno. Et ce mec n’en avait visiblement qu’à mon portefeuille, et probablement assez de classe pour me les prendre dans la règle…
Quand on est entré dans la villa, une sorte de fête techno y battait son plein. J’ai eu d’abord l’impression de n’y voir que des meufs. Partout, des meufs. Jeunes, superbes et totalement dévergondées, ou tout simplement camées… Des meufs, des meufs, des meufs. Autant dire que j’ai regardé mes pompes en traversant une large salle, mal éclairée, où il m’a semblé distinguer les lames virulentes et autres embruns d’une vague partouze. Je dis cela car Rachid a claqué des doigts au passage, en soufflant qu’on finirait là si tout se passait bien. Et que c’est moi qui inviterais encore !
Mes pompes en point de mire, on est donc monté au deuxième. Au fond d’une interminable cuisine médiévale, mon ali baba a poussé une petite porte brune, derrière laquelle une vingtaine de personnes s’étaient isolées. Au milieu de la pièce embrumée –une sorte de salle d’arme assez froide et sombre– dix joueurs se partageaient la table, plus le donneur, pendant que leur petit public allait et venait depuis un bar où ne se servait que du champagne. Rachid a dit bonsoir à la volée en enfournant son mobile dans sa poche. Il a posé sa main sur mon épaule. « Vas t’asseoir là-bas, mon garçon », m’a-t-il ordonné en me montrant la seule place libre de la table. Puis il est allé directement au bar.

J’ai attendu la fin du coup pour m’introduire. J’ai posé ma mallette pleine de billets devant moi et je me suis retrouvé avec le plus petit tapis de la place, moitié moins gros que la moyenne de la table. C’était comme un rêve avec des couleurs de cauchemar. Je suis parti du big blind. Direct, mille euros dans la vue. J’avais un as et un roi en main, dépareillés mais très aguichants. Deux joueurs ont suivi, dont le bouton, qui me toisait avec insistance au moment où je découvrais mes cartes. J’ai poussé l’équivalent de cinq mille en jetons vers le centre de la table. Le bouton a réfléchi, longuement, puissamment, puis il m’a suivi. Simplement. L’autre s’est couché, évidemment. Au flop sont apparus un dix, un as et un roi… de cœur ! J’avais clairement vu le piège mais j’ai voulu garder l’initiative. Jusqu’au bout. Ça m’a coûté la moitié de mon tapis en moins de deux minutes. Le mec m’a pris pour une bille en plus, même si personne n’a pas vu mon jeu au final. Je me suis senti un peu con. La coke du Rachid commençait déjà à me faire froid dans le dos. Rapide et pointue la descente, en vérité. Cela m’a enlevé l’envie de jouer pendant deux à trois tours de table, le temps que je me calme…
Cependant, je ne me souviens pas avoir perdu un seul autre coup de la nuit. Au matin, vers 8 ou 9 heures, je devais avoir environ cinq cents mille euros en chips devant moi. Rachid a considéré mon building et m’a dit fermement qu’il fallait partir. Deux types ont un peu protesté. Il n’y a pas prêté attention, a sorti son mobile et a demandé mon numéro. Il était encore plus gris que d’habitude, si tant est que je puisse parler d’habitude à son égard. Il avait l’air épuisé, fripé, comme lyophilisé dans l’aurore enfumée.
De la nuit, il ne m’avait quasiment pas adressé la parole, ne m’avait même pas présenté aux autres joueurs qu’il semblait pourtant bien connaître. « Veux-tu une pute ou deux, mon petit ? » J’ai dû faire signe que non en me levant, mais je n’ai pas manqué de lui demander un peu de coke en allant pisser avec lui du balcon. Il a répondu par des aboiements en arabe à son mobile, a rentré sa bite nerveusement dans son caleçon de soie, puis m’a tendu un truc que je n’ai même pas regardé. C’est son chauffeur qui m’a certainement ramené à Charenton-le-Pont. J’étais pété de tunes, pété de champagne et de coke. Je ne me souviens pas m’être endormi…

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C
J'étais venue juste dire bonjour. Un article long...pas le temps. Mais j'ai commencé...pas pu m'arrêter. Et voilà, je suis en retard. Merci !
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R
Pas de quoi. Si tu as un peu de temps devant toi, pourrais-tu retrouver ma montre ?
R
J'ai pris du plaisir à lire
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R
Jusqu'au bout du plaisir ?!?
B
Raaaah, Puinker 3, j'attendais avec impatience ! A quand un bouquin complet ?!! C'est peut-être trop demander mais tu connais les femmes, c'est exigeant, ces petites choses !
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R
"Dans la règle du jeu, il faut payer pour voir", répondit Ours Inflexible à Petite Chose. Sa méchante pokerface n'en disait pas plus long. Il savait pas quoi dire de toute façon.